COLONEL MOHAMED MELLOUKI
Il n’y a pas si longtemps, M. Benkirane affirmait devant une délégation
d’hommes d’affaires étrangers que la démocratie au Maroc était irréversible et
la stabilité politico sociale assurée. Auparavant, il avait soutenu que le
changement constitutionnel opéré l’année dernière n’était dû ni au ‘ Printemps
arabe’ ni au ‘M20’, mais à la clairvoyance royale et à la confiance populaire
en le PJD. Depuis les Législatives, il n’a pas manqué de chercher, à chaque
occasion, et hors occasion, à s’adosser au Palais, s’érigeant en défenseur de
celui-ci, et menaçant de ses foudres ceux qui n’auraient pas encore compris que
la Monarchie
et la Commanderie
des Croyants n’étaient pas négociables politiquement. Comme il s’est empressé
d’intégrer dans son Cabinet des ennemis de la veille, de calquer son programme
gouvernemental sur des politiques précédentes qu’il brocardait, de réajuster
positivement son jugement sur le bilan du gouvernement précédent, et d’annoncer,
en guise de cerise sur le gâteau, qu’il n’entrait pas dans ses intentions de
pratiquer ‘la chasse aux sorcières’, envoyant, du coup, paître tous ceux qui
ont voté pour le PJD et lui avaient ouvert, à lui M. Benkirane, la voie du
gouvernement. Le pouvoir l’a vite habité ; et de notre côté nous avons, vite
aussi, vu sous quel parasol il se blottissait et compris qu’il n’avait, dès
lors, plus besoin des quidams que nous sommes. Et voici que subitement et à la
surprise générale, il menace de donner des coups de canifs à ce parasol et nous
demande, insidieusement, de l’aider dans la besogne. Le 22 avril dernier, à
l’occasion d’une journée d’études de son parti,
il change, en effet, de ton et tient quelques propos plus significatifs
par leur confusion que par leur clarté. Des propos dont suinte un relent de
déception qu’il veut, à travers nous, faire parvenir à bien au-dessus de nous, résultant
probablement d’une insuffisance de soutien en sa faveur de la part du Palais, qui
ne s’élèverait pas, dans son esprit, à
la hauteur de la réciprocité qu’il juge
en droit d’attendre pour son attachement à la cause royale. Et si, par hasard, le
Palais ne l’avait pas compris, il lui rappelle, simplement, que ‘ les Rois’ ( notez
la nuance), a-t-il dit, ne sont pas toujours entourés de fidèles et que parfois
ces derniers sont les premiers à leur fausser compagnie. Contre ces gens, et
pour mieux gager son attachement à la Monarchie , il passe par nous, simples pions dans
son jeu gouvernemental, qu’il veut enfourcher comme un cheval de Troie, et nous
exhorte à nous mobiliser derrière cette Institution qui, précise-t-il, ne doit
pas compter sur le PJD seulement, et a, maintenant plus que de tout temps, besoin de tous les citoyens pour mener à bien
la Réforme ; oubliant que c’est cette dernière qui l’a
conduit là où il est. Il nous demande, aussi, de faire preuve de sacrifice
nécessaire ; omettant, cependant, de nous en préciser la nature et l’étendue. Dans
la foulée, il incite, également, ses troupes à la vigilance, n’écartant pas
l’éventualité d’une confrontation, en raison d’un ‘futur’ qui pourrait
véhiculer des difficultés, dont il ne précise pas non plus le genre ; mais dont
il attribue l’origine à l’entourage royal et ses milieux d’influence. Conseillant
d’user désormais d’un langage de confrontation ( sans préciser avec qui ), il
brandit, comme un épouvantail, le risque d’un retour en arrière de la
conjoncture qui risquerait de nous replacer dans l’atmosphère du Printemps
arabe et M20 ; oubliant, là aussi, qu’il s’était officiellement démarqué de ces
deux évènements et qu’il avait même voué aux gémonies Al Adl Wal Ihsane, en lui
enjoignant de ne pas jouer avec le feu, avant que cette mouvance ne se retire
du M20. M.Hami Eddine, membre du secrétariat général du PJD relayant son chef, se
fend à son tour d’une déclaration, au cours d’une interview, dont on apprend
que c’est grâce au rôle ‘historique’ joué par son parti que le Maroc a pu
parvenir, sereinement et dans la stabilité, à cette fameuse ‘Réforme’ qui a épargné
au pays les scénarios qui se sont déroulés dans les autres pays arabes. Du fait,
il somme le Palais de prendre ses responsabilités. En filigrane, ces propos
signifient que le discours royal du 9 mars compte pour du beurre ; et que c’est
le PJD qui a contenu la colère populaire et
sauvé le pays et le système d’une situation qui eût pu être désastreuse.
Une telle prétention ressemble
étrangement à celle avancée par certains éléments de l’USFP, relative à
la succession au Trône, et qui a probablement contribué au départ de M. Youssoufi
du gouvernement. Ce méli-mélo de propos des deux dirigeants du PJD, suscité par
l’opposition de trois directeurs de l’audio-visuel au projet de réforme de la
chaîne 2M, piloté par le PJDiste ministre de l’Information, M. Khalfi, n’a pas,
en soi, plus d’importance qu’une tempête dans un verre d’eau. Mais il semble que l’ombre de M. El
Himma s’est profilée derrière ce bras de
fer. Et que l’homme continue à donner des sueurs froides à M. Benkirane, en
dépit du coup de vernis dont il avait gratifié à sa nomination comme Conseiller
royal. Le même jour, au soir, le Roi
reçoit Mrs. Benkirane, Baha et Khalfi. Selon l’information répandue, pour leur
faire part de ses observations, semble-t-il mineures, et les assurer, aussi, de son soutien. Selon
d’autres sources, il leur aurait, plutôt, tiré les oreilles pour le tapage
soulevé. En tout état de cause, M. Benkirane sorti paniqué ou dopé de
l’audience, fait, dès le lendemain, volte-face, adresse à l’agence ‘ Reuters’
une mise au point où il déclare que ses propos avaient été dénaturés, souscrit,
illico, à la révision du cahier de charges et injecte 260 millions de Dh dans
le capital de 2M pour la sauver de la faillite. Une déculottée qu il a, sans
état d’âme, vite fait de cadrer dans une sorte de Fatwa ( laïque) ; ‘ Ce n’est
pas du Coran’ se contente-il de répliquer à ses détracteurs. Je ne sais pour
quelle raison, M. Benkirane me renvoie sans cesse l’image d’un néophyte que le
hasard a amené sur une piste de danse, et dans une posture de Tango entreprend
une série de circonvolutions désordonnées, dans tous les sens, les bras tendus
et les yeux fermés, et lorsqu’il s’arrête, s’aperçoit qu’il danse sans
cavalière et que l’assistance le regarde médusée ; sourit et, mine de rien, reprend
sa prestation, heureux qu’il ait, par son seul culot, mis tous les autres sur
la touche.
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